Litige et médiation
Publié par Martin Brisson - 3 juillet 2022
Par Me Martin Brisson avec la collaboration de Myriem Elmahboubi
La réclamation des honoraires par le créancier hypothécaire
Lorsque l’hypothèque le prévoit, un créancier peut-il réclamer les honoraires professionnels engagés vu les défauts du débiteur ?
Un créancier peut réclamer au débiteur les honoraires professionnels engagés lorsque l’hypothèque le prévoit, mais en aucun temps lors d’un recours « purement » hypothécaire.
Depuis une modification du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») en 2002, les articles 2667 et 2762 C.c.Q. excluent spécifiquement les honoraires extrajudiciaires des frais garantis par l’hypothèque. L’exclusion ne visant que les honoraires d’avocats pour leurs services professionnels, les frais d’autres professionnels peuvent valablement être réclamés par un créancier. D’ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 2762 du C.c.Q. prévoit que l’exclusion des honoraires extrajudiciaires est d’ordre public. Même si les termes « nonobstant toute convention contraire » ne sont pas reproduits à l’article 2667 du C.c.Q., la doctrine[1] propose que ces deux textes soient lus conjointement et reçoivent une interprétation analogue. Ainsi, une convention ne peut contrevenir ni à l’article 2667, ni à l’article 2762 du C.c.Q.
Pourtant, il est coutume que les conventions de prêt garanti par hypothèque prévoient une obligation du débiteur de payer les honoraires extrajudiciaires encourus par le créancier pour réaliser sa créance.
Considérant que le C.c.Q. interdit au créancier de réclamer à son débiteur des honoraires, comment peut-on alors concilier les conventions de prêt qui prévoient le contraire? Pour répondre à cette question, il faut établir une nuance entre les recours qui sont purement hypothécaires et ceux qui ne le sont pas.
Dans tout recours « purement » hypothécaire visant « exclusivement » à garantir l’exécution de créances hypothécaires, il est impossible pour le créancier de réclamer au débiteur les frais d’avocats et ce malgré toute convention contraire. Dans la décision Chouloute c. Armand[2], le tribunal expliquait que « tant la doctrine que la jurisprudence enseignent que depuis la modification du Code […], l’article 2762 CcQ empêche le créancier hypothécaire de réclamer les honoraires extrajudiciaires dans le cadre d’un recours hypothécaire. »
Cela étant dit, dans tout autre recours, la jurisprudence a établi qu’est valide la stipulation claire et non équivoque prévoyant le remboursement par le débiteur des frais extrajudiciaires encourus par le créancier[3]. Néanmoins, comme l’hypothèque ne garantit pas ces frais, pour rendre la clause exécutoire, le créancier n’a d’autre choix que d’intenter un recours « personnel » contre le débiteur.
Mécanisme d’exécution
C’est par le biais de l’article 2478 que le C.c.Q. reconnait à un créancier le droit d’exercer contre son débiteur un recours personnel, en plus d’un recours hypothécaire.
Étonnamment, les deux recours peuvent être exercés en même temps, dans une même procédure[4]. En effet, vue l’absence d’identité d’objet, il est possible dans de telles circonstances d’écarter les règles de la litispendance et de la chose jugée[5].
Le droit québécois reconnait le cumul des recours, car le fait d’intenter deux recours distincts irait à l’encontre du principe de la bonne administration de la justice. Il va sans dire qu’en pratique, cette façon de faire ne serait guère appropriée, étant donné les coûts associés, les délais, la multiplication des procédures ainsi que la possibilité que soit rendu des jugements contradictoires[6].
Le cas particulier de la prise en paiement
Même dans le cas d’une prise en paiement, un créancier peut obtenir le remboursement de ses honoraires.
Toutefois, il faut garder en tête que l’article 2782 du C.c.Q. a pour effet que la prise en paiement éteint la dette. Ainsi, un créancier ne pourrait pas réclamer les honoraires en cumulant, dans une même procédure, un recours personnel et un recours en prise en paiement. Il doit plutôt intenter deux actions distinctes, en parallèle[7]. Plus précisément, pour recouvrir la totalité de sa créance – soit, le bien garanti par hypothèque et les honoraires d’avocat – un créancier doit intenter d’abord, un recours personnel, puis un recours hypothécaire. Le créancier doit intenter ces recours dans cet ordre et s’assurer d’obtenir un jugement pour le recours personnel avant celui autorisant la prise en paiement. Bien que cette façon de faire parait peu pratique, il semble que ce soit la seule pour qu’un créancier qui souhaite prendre le bien en paiement puisse également se voir rembourser les honoraires.
En conclusion, ces règles s’appliquent également lorsque le débiteur délaisse volontairement le bien. Le créancier peut intenter un recours personnel pour se faire rembourser les honoraires qu’il a dû assumer, tant et aussi longtemps qu’il n’a pas accepté le bien en paiement[8]. Une fois le bien pris en paiement, il ne sera plus possible de réclamer au débiteur les honoraires.
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[1] Philippe H. BÉLANGER, « La portée des modifications apportées aux articles 2667 et 2762 du Code civil du Québec : quels sont les frais qui ne peuvent plus être garantis par hypothèque? » dans Barreau du Québec : Service de la formation permanente. Développements récents en droit de la construction (2003). vol. 189, Cowansville (QC), Éditions Yvons Blais, 53, aux pages 62 à 68.
[2] Chouloute c. Armand, 2018 QCCS 1853, par. 39
[3] Gestion d’actifs Hochelaga inc. c. Gestion Moisandré inc., 2014 QCCS 5210, voir notamment les paragraphes 45 et ss.
[4] 2160-1182 Québec inc. c. 9257-2627 Québec inc., 2015 QCCS 5018
[5] Giuseppe MORRONE, « Les recours des créanciers hypothécaires », dans Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé : les priorités et hypothèques, Collection de droit 2021-2022, p.181
[6] 141517 Canada inc. c. Casiloc inc., 2011 QCCA 341
[7] Lépine c. Sécur Finance investissements 700 inc., 2015 QCCA 530
[8] Précité, voir note de bas de page 5.