Fiscalité
Publié par Richard D'Amour - 14 novembre 2017
Voilà un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre depuis les propositions législatives du 18 juillet dernier. En fait, c’est plus de 21 000 « mémoires » qui ont été déposés dans le cadre de la période de consultation.
Lors du dépôt des propositions, 4 grands axes avaient été mis de l’avant :
- Le fractionnement de revenus par le recours aux sociétés privées;
- La détention d’un portefeuille de placements passifs dans une société privée ;
- La conversion du revenu régulier d’une société privée en gains en capital ;
- La multiplication de l’exonération cumulative du gain en capital.
Depuis, le ministre des Finances, M. Bill Morneau, a réitéré son intention d’empêcher ou à tout le moins restreindre, à compter du 1er janvier 2018, le fractionnement de revenus entre les membres d’une même famille. Dorénavant, il semble que le fractionnement serait sujet à un test de raisonnabilité et/ou d’implication. Nous restons dans l’attente de précisions à cet égard, lesquelles selon les rumeurs pourraient venir d’ici la fin novembre prochain. Nous vous tiendrons informés à cet égard. Chose certaine, nous aurions jusqu’au 31 décembre 2017 pour continuer le fractionnement tel qu’on le connaît. Donc, ceux qui sont valablement structurés pourront en profiter une dernière fois.
Morneau a également décidé de faire marche arrière sur les mesures 3 et 4 mentionnées ci-devant. Nous nous interrogeons, comme plusieurs autres fiscalistes, sur l’arrimage qui sera fait entre la possibilité de multiplier l’exonération cumulative du gain en capital avec des membres de la famille et la restriction au fractionnement du revenu. Nous imaginons (en fait nous espérons) que le ministre des Finances répondra à cette question au moment d’apporter les précisions sur les mesures qu’il finira par mettre de l’avant.
Morneau a de plus annoncé une réduction du taux d’imposition des petites entreprises, lequel passera de 10,5 % à 10 % le 1er janvier 2018 et à 9 % le 1er janvier 2019. Il faut cependant ici comprendre qu’une fois l’argent dans les poches de l’actionnaire, il n’y aura aucun gain fiscal puisque le taux d’imposition des dividendes augmentera de façon proportionnelle.
Finalement, il nous reste à traiter de l’imposition des revenus passifs dans une société privée. Initialement, nous avions compris que le revenu d’entreprise (imposé dans une société à plus petit taux) qui servait par la suite à gagner du revenu passif (notamment du loyer, des intérêts, du gain en capital) était visé par les mesures du ministre des Finances.
Le 18 octobre dernier à la suite de la période de consultation, le ministre est venu préciser son intention, dans un document de 6 pages. L’essentiel tient dans les quatre énoncés suivants :
« Le gouvernement met de l’avant des mesures pour limiter les avantages au titre du report d’impôt découlant des placements passifs détenus dans les sociétés privées; ces mesures répondront aux critères suivants :
- Protéger les investissements déjà effectués par les propriétaires de sociétés privées ainsi que les revenus futurs générés par ces investissements – ces mesures ne s’appliqueront qu’à l’avenir.
- Protéger la capacité des entreprises à économiser en prévision des urgences ou à des fins d’investissements futurs, comme l’achat d’équipement l’embauche et la formation du personnel ou le développement des activités.
- Prévoir un seuil de revenu passif de 50 000 $ par année d’application prospective aux investissements futurs (ce qui correspond à une épargne de 1 million de dollars affichant un taux de rendement nominal de 5 %) afin de donner une plus grande latitude aux propriétaires d’entreprise. Ils pourraient ainsi conserver des économies à des fins multiples, qui pourraient notamment servir plus tard à conférer des avantages personnels comme des congés de maladie, des congés parentaux ou des revenus de retraite. Il n’y aura aucune augmentation de l’impôt sur les revenus de placement inférieurs à ce seuil.
- S’assurer que, après l’adoption des changements fiscaux, des incitatifs seront maintenus afin que les investisseurs providentiels et les investisseurs de capital de risque puissent continuer d’investir dans la prochaine génération d’innovateurs canadiens. Le gouvernement collaborera avec les secteurs du capital de risque et des investissements providentiels afin de déterminer la meilleure façon de réaliser cet objectif.
De tels commentaires du ministre des Finances soulèvent de nombreuses questions :
- L’intention initiale étant de « surtaxer » uniquement le revenu d’entreprise utilisé pour gagner du revenu passif, est-ce que la « nouvelle » orientation va dans le même sens ? Est-ce que l’exclusion de 50 000 $ comprendra tous revenus passifs ou seulement le revenu passif découlant de placements faits avec du revenu d’entreprise ? Et si c’est la 2e option qui est retenue, comment seront gérés dans une même société ces éléments ? Devrons-nous avoir 2 comptes de placement ? Et comment faire lorsque c’est un immeuble qui sera acquis ?
- Est-ce que le gain en capital sera visé par cette mesure. Si oui, il deviendra improbable de détenir des immeubles dans une société s’ils entrainent une surtaxation ?
- Est-ce que le 50 000 $ sera indexé annuellement, partageable entre des groupes associés et cumulatif d’une année à l’autre ?
- Le 50 000 $ sera-t-il réduit ou non de tout amortissement pris ? Dans l’affirmative, les propriétaires d’immeubles auront des décisions importantes à prendre en sachant que lors de la revente ils auront de la récupération d’amortissement ainsi qu’un gain en capital, et donc qu’ils dépasseront dans cette année le seuil de 50 000 $ ?
- En excluant ce qui a été accumulé avant la mise en vigueur de ces nouvelles règles, advenant la déclaration d’un dividende à l’actionnaire, est-ce que ce dividende réduira les sommes assujetties aux nouvelles règles ou les sommes exclues de ces règles ?
Nous pourrions continuer ainsi avec de nombreuses questions. Vous comprendrez alors avec les questions que nous posons que dans l’éventualité où le ministre Morneau allait de l’avant avec ces règles, la gestion des différents comptes (assujettis ou non aux règles) et la provenance des revenus et de l’utilisation de ces derniers créeront une confusion importante, ainsi qu’un suivi et des coûts supplémentaires pour les entrepreneurs.
Il nous faudra probablement attendre jusqu’au prochain budget fédéral (mars 2018) pour savoir dans quelle mesure le ministre des Finances ira de l’avant à l’égard d’une surtaxation des revenus passifs.
En précisant les raisons pour lesquelles il voulait s’attaquer aux revenus passifs dans les sociétés privées, le ministre Morneau a mentionné que les sociétés « dont les revenus passifs imposables dépassaient le seuil de 50 000 $ en 2015 représentaient 3 % de la population totale, mais elles ont gagné plus de 88 % du revenu imposable total. La majorité des entreprises ne seront pas touchées par les modifications fiscales. » Il a ajouté vouloir s’attaquer uniquement à ce 3 %.
Nous vous laissons donc sur la réflexion suivante : si le but est de s’attaquer à ce fameux 3 %, pourquoi avoir précisé que toutes les sommes déjà accumulées et les revenus qui en découleront ne seront pas assujettis aux nouvelles règles. En agissant de la sorte, le ministre exclut d’emblée ces sociétés ! Mais bon, il semble que nous ne soyons pas à une contradiction près dans cette réforme.
À suivre …
Le présent texte ne représente qu’un survol de la question juridique et ne constitue aucunement une opinion juridique en soi. Chaque dossier se doit d’être analysé à la lumière des faits qui lui sont propres. N’hésitez pas à communiquer avec l’auteur pour plus de détails.