Personne et famille, Litige et médiation
Publié par Mélissa Tozzi - 21 octobre 2024
Article écrit en collaboration avec Anne-Élizabeth Bleau, étudiante en droit
Dans le cadre d’une procédure judiciaire, la collaboration entre les parties joue un rôle crucial pour assurer une résolution efficace et équitable des litiges. Une coopération active et constructive permet non seulement de réduire les délais et les coûts associés aux procès, mais elle favorise également un climat de respect mutuel, essentiel pour un déroulement serein de la procédure pouvant plus facilement mener à un règlement.
Tout d’abord, il est important de souligner que la collaboration commence par une communication ouverte entre les parties. Cela inclut le partage transparent des informations pertinentes et la volonté d’explorer des solutions amiables. Cette collaboration revêt une importance accrue, car les juges et tribunaux font preuve d’une vigilance croissante face aux comportements abusifs ou dilatoires, et ce, tant des parties elles-mêmes que leurs procureurs. Bien que le seuil demeure très élevé pour l’octroi de dommages en raison d’abus selon les articles 51 et suivants du Code de procédure civile ou selon 49 du même Code, les tribunaux semblent moins réticents d’ordonner des dommages visant le remboursement d’honoraires, entre autres, lors de témérité par les parties et/ou leur avocat de mener à procès un dossier, qui n’aurait pas dû voir l’intérieur de la salle de Cour.
En faisant un survol de la jurisprudence récente, nous constatons cette tendance, qui selon nous, devrait être encore plus représentative des dommages subis, et ce, afin de venir aider l’administration de la justice. Nous le savons tous, les tribunaux sont encombrés, les délais pour un procès sont de plusieurs années et cela sans compter, les nombreux dossiers remis pour encombrement du rôle alors qu’ils attendaient déjà depuis des années. Nos gouvernements et les juges coordonnateurs tentent de trouver pleins d’astuces et de solutions pour remédier cette problématique, qui ne fait que s’empirer. Pourquoi ne pas être plus sévère envers les justiciables qui sont déraisonnables? Pourquoi ne pas condamner les justiciables qui causent des remises après remise en raison d’un manque de collaboration? Pourquoi ne pas condamner les justiciables et parfois, leurs avocats, lorsqu’un dossier va à procès alors qu’il était clair que la demande était abusive soit par un quantum exagéré ou vouée à l’échec?
En 2024, nous avons recensé quelques décisions qui vont en ce sens. Mais est-ce suffisant? Nous rappelons que ces sanctions visent à dissuader les comportements qui entravent le bon déroulement des procédures judiciaires et à promouvoir une justice plus efficace. Ainsi, dans la décision Droit de la famille – 241052[1], le tribunal a condamné le défendeur à verser 40 000 $ en honoraires extrajudiciaires à la demanderesse en raison de ses comportements répréhensibles et abusifs, incluant le recel d’actifs et la violation de son obligation de renseignement. Dans un dossier en oppression, le tribunal a condamné la partie demanderesse a des dommages de 25 000 $ pour abus de procédure en raison de son comportement répréhensible durant l’instance.[2] Étant l’avocate au dossier, nous pouvons commenter sur le fait que la demanderesse avait retenu plusieurs avocats tout au long des procédures, ce qui avait multiplié les échanges de correspondances et de documents, retardé indument l’instance, et ce, uniquement vu que la demanderesse refusait de suivre les conseils de ses avocats et elle s’est ultimement représentée seule lors de l’audition qui n’a pas respecté la durée prévue en plus de requérir des plaidoiries écrites.
Dans une autre décision, cette fois-ci dans un dossier de divorce, la Cour a condamné solidairement dans une première affaire le demandeur et son avocat à 21 000$ de dommages en raison du comportement abusif de ceux-ci durant l’instance.[3] Encore, il s’agissait d’un dossier où nous étions les avocats au dossier et les dommages ont été accordés à la défenderesse en raison de la témérité du demandeur et du manque par ses avocats de respecter leur obligation. Le tribunal a rappelé que non seulement les parties au litige doivent coopérer durant l’instance, mais que les avocats de ces derniers ont le devoir de tenter de loyalement négocier un règlement[4]. En effet, comme le mentionnent les articles 18 et 19 C.p.c., « Les parties à une instance doivent respecter le principe de proportionnalité et s’assurer que leurs démarches […] sont, eu égard aux coûts et au temps exigé, proportionnées à la nature et à la complexité de l’affaire et à la finalité de la demande ». De plus, « elles doivent veiller à limiter l’affaire à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige et elles ne doivent pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi ».
De plus, la Cour d’appel a récemment confirmé un jugement condamnant un demandeur à payer plus de 135 000$ en dommages en raison d’abus de procédure.[5] En l’occurrence, il est clair que les tribunaux condamnent tant les avocats que les parties pour abus de procédure, en particulier lorsque leur conduite démontre une témérité ou une intention de nuire[6]. Dans l’affaire Droit de la famille – 212335[7], le juge mentionne que l’avocat d’une partie a le devoir d’aider à la conclusion d’un règlement en conseillant son client de manière à favoriser la bonne administration de la justice.
En somme, la collaboration entre les parties durant l’instance est non seulement une question de bonne foi, mais aussi une stratégie pragmatique pour parvenir à une résolution rapide et juste des litiges. Une telle approche, basée sur la coopération et la communication, contribue à renforcer l’efficacité du système judiciaire et à préserver les relations entre les parties. Les juges, conscients des enjeux sur l’accessibilité à la justice et l’importance cruciale d’assurer un bon déroulement des procédures judiciaires, apparaissent moins frileux à condamner les avocats solidairement avec les parties qu’elles représentent. Osons espérer que cette tendance continuera particulièrement envers les justiciables, incluant ceux qui se représentent seuls en imposant des sanctions plus sévères et représentatives des honoraires payés par les parties lésées. Cela sera uniquement lorsqu’il sera clair que ce genre de comportement aura des conséquences que les justiciables auront le réflexe de se questionner sur la proportionnalité et l’intérêt de ne pas régler, voire même, d’intenter un recours, qui autrement, n’aurait pas dû l’être.
Le présent texte ne représente qu’un survol des questions juridiques présentées et ne constitue aucunement une opinion juridique en soi ni ne remplace une consultation avec un professionnel du droit, chaque dossier devant être analysé à la lumière des faits qui lui sont propres. N’hésitez pas à contacter notre cabinet de professionnels situé sur la Rive-Sud, à Longueuil.
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[1] Droit de la famille – 241052, 2024 QCCS 2664
[2] Wu c. Lessard, 2024 QCCS 3239
[3] Droit de la famille — 24001285, 2024 QCCS 3767
[4] Droit de la famille – 212335, 2021 QCCS 5112
[5] Jugement rendu le 4 octobre 2024 dans l’affaire Robichaud c. Hadd et al.
[6] Royal Lepage commercial inc c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915
[7] Droit de la famille – 212335, préc., note 4.