Droit immobilier
Publié par Gabrielle Guérin - 29 mai 2024
Par Gabrielle Guérin, avocate, avec la collaboration de Yvette Kasongo, technicienne juridique
Plusieurs lois ont subi des modifications en raison de la Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation[1]. Nous nous attarderons dans cet article à certaines modifications majeures apportées au Code civil du Québec et la Loi sur le Tribunal administratif du logement au sujet des relations locateur-locataire et la procédure devant le Tribunal administratif du logement (TAL). Nous soulignons toutefois le nouveau projet de loi 65 de type moratoire qui vise à empêcher les évictions, au sujet duquel un prochain article sera sous peu publié
Nous soulignons que ces amendements ont été préparés afin de « contribuer à rétablir l’équilibre entre les locateurs et les locataires, notamment pour contrer les évictions abusives » et de « protéger les locataires ainsi que pour inciter les locateurs à participer à la construction et à la préservation des logements », selon les commentaires de Madame France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’habitation.
Hausse des loyers davantage contrôlée
En raison du changement législatif à l’article 1955 C.c.Q.[2], le locateur d’un logement situé dans un immeuble nouvellement construit ou qui a fait l’objet d’un changement récent d’affectation doit indiquer au bail le loyer maximal qu’il pourrait imposer au locataire dans les cinq années suivant la date où l’immeuble est construit ou transformé et prêt à l’habitation. Ainsi, bien que le droit du locateur d’augmenter annuellement le loyer en fonction de la valeur du marché pendant ces cinq années soit maintenu, celui-ci doit spécifiquement négocier et prévoir au bail, à l’avance, les hausses de loyer maximales. À défaut, la restriction au droit à la fixation de loyer par le Tribunal administratif du logement, ne pourra s’appliquer et le locataire pourra contester lesdites augmentations, qui pourraient être déclarées invalides.
Par ailleurs, nous rappelons aux locateurs de bien cocher au bail la case pertinente à la section F et d’indiquer la date à laquelle l’Immeuble était prêt pour habitation. Autrement, il ne pourra pas faire valoir des augmentations en fonction de la valeur du marché.
Nous rappelons également que toute augmentation, même non assujettie au contrôle du loyer par le TAL, doit être raisonnable.
Pour continuer, l’amendement de l’article 1896 C.c.Q.[3] ajoute un droit de recours au locataire, pour réclamer des dommages-intérêts punitifs au locateur, en cas de fausse déclaration ou omission à la section G du bail, concernant le loyer le plus bas payé pour le logement dans les douze derniers mois.
Charge additionnelle au Locateur en cas d’éviction d’un logement
La Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation introduit la présomption irréfutable de refus du locataire à un avis d’éviction pour changement d’affectation, agrandissement substantiel ou subdivision du logement, avec la modification à l’article 1962 C.c.Q.[4]
Dorénavant, le traitement qui était réservé au locataire en cas de reprise de logement a été étendu au locataire qui reçoit un avis d’éviction. Ainsi, advenant que le locataire ne réponde pas à l’avis d’éviction dans les délais impartis, il est réputé avoir refusé l’éviction. Il revient alors au locateur d’introduire une demande d’autorisation pour évincer le locataire du logement dans le mois du refus[5].
Au surplus, la modification de l’article 1965 C.c.Q.[6] augmente substantiellement le montant de l’indemnité à verser par le locateur au locataire en cas d’éviction à la suite d’un avis transmis après le 20 février 2024. Désormais, en cas d’éviction acceptée par le locataire ou autorisée par le TAL, le locateur devra verser au locataire les frais raisonnables de déménagement en plus d’une indemnité correspondant à un mois de loyer pour chaque année de location ininterrompue. Cette indemnité ne peut toutefois excéder un montant représentant 24 mois de loyer ni être inférieure à 3 mois de loyer.
Nous rappelons toutefois le nouveau projet de loi 65 de type moratoire qui vise à empêcher les évictions.
Renversement du fardeau de preuve dans le cadre de recours en dommages-intérêts pour une reprise ou éviction effectuée de mauvaise foi
Une autre modification importante concerne l’article 1968 C.c.Q., qui se lit dorénavant comme suit :
« 1968. Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant d’une reprise ou d’une éviction, qu’il y ait consenti ou non, à moins que le locateur ne prouve que celle-ci a été faite de bonne foi.
Le locataire peut aussi demander que le locateur soit condamné à des dommages-intérêts punitifs s’il démontre que la reprise ou l’éviction a été obtenue de mauvaise foi. »
Ainsi, en cas de poursuite intentée à l’encontre d’un locateur, par un locataire alléguant avoir subi une reprise ou une éviction effectuée de mauvaise foi, au lieu pour le locataire de devoir faire la preuve de la mauvaise foi du locateur, il appartient au locateur poursuivi en dommages-intérêts de prouver sa bonne foi dans le cadre de ladite éviction ou reprise.
Cet amendement vient ainsi créer une présomption de mauvaise foi du locateur poursuivi et, par l’inversement du fardeau de preuve sur l’épaule du Locateur, déroge du principe général à l’effet que la partie qui veut faire valoir un droit doit établir la preuve des faits qui soutiennent sa prétention[7].
Protections du locateur en matière de cession de bail et de sous-location du logement
La Loi a également apporté des modifications pertinentes en matière de cession de bail et de sous-location, lesquelles peuvent être interprétées favorablement pour les locateurs.
Les restrictions antérieurement imposées au locateur avisé de l’intention d’un locataire de céder son bail ont été assouplies. Avant les modifications par ajout des articles 1978.1[8] et 1978.2 C.c.Q.[9], le locateur ne pouvait refuser la cession du bail à moins de faire valoir un motif sérieux au sujet du candidat cessionnaire. Dorénavant, le locateur peut refuser de consentir à la cession de bail même pour un motif autre qu’un motif sérieux et ainsi directement mettre fin au bail à la date inscrite à l’avis de cession de bail.
Cela dit, puisque l’article 1871 C.c.Q.[10] est maintenu, il est de notre interprétation qu’un locateur peut encore refuser valablement une cession de bail et maintenir le bail en vigueur avec le locataire s’il possède des motifs sérieux de refus.
Pour continuer, les nouveaux articles 1978.3[11] et 1978.4 C.c.Q.[12] interdisent au locataire de « vendre » la cession de son bail et de sous-louer le logement en effectuant un profit.
Si vous souhaitez plus d’informations relativement à cet article ou si vous avez des questions concernant l’application des nouvelles dispositions législatives, n’hésitez pas à communiquer avec les professionnels de notre cabinet situé sur la Rive-Sud, à Longueuil.
Le présent texte ne représente qu’un survol de la question juridique et ne constitue aucunement une opinion juridique en soi.
[1] https://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/lois_et_reglements/LoisAnnuelles/fr/2024/2024C2F.PDF
[2] 1965. Le locateur doit payer au locataire évincé des frais raisonnables de déménagement ainsi qu’une indemnité équivalente à un mois de loyer pour chaque année de location ininterrompue du logement par le locataire, laquelle ne peut toutefois excéder un montant représentant 24 mois de loyer ni être inférieure à un montant représentant 3 mois de loyer. Si le locataire considère que le préjudice qu’il subit justifie une indemnité plus élevée, il peut s’adresser au tribunal pour en faire fixer le montant.
À moins que le tribunal n’en décide autrement, l’indemnité est payable à l’expiration du bail et les frais de déménagement le sont, sur présentation de pièces justificatives.
[3] 1896. Le locateur doit, lors de la conclusion du bail, remettre au nouveau locataire un avis indiquant le loyer le plus bas payé au cours des 12 mois précédant le début du bail ou, le cas échéant, le loyer fixé par le tribunal au cours de la même période, ainsi que toute autre mention prescrite par les règlements pris par le gouvernement. Dans le cas où aucun loyer n’a été payé au cours des 12 mois précédant le début du bail, l’avis doit indiquer le dernier loyer payé et la date de celui-ci. Si l’avis comporte une fausse déclaration ou que le locateur omet sciemment de remettre l’avis, le locataire peut demander que le locateur soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.
Il n’est pas tenu à cette obligation lorsque le bail porte sur un logement visé aux articles 1955 à 1956.
[4] 1962. Dans le mois de la réception de l’avis de reprise ou d’éviction, le locataire est tenu d’aviser le locateur de son intention de s’y conformer ou non; s’il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement.
[5] 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre ou en évincer le locataire, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement ou en évincer le locataire pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins et, lorsqu’il s’agit d’une éviction, que la loi permet de subdiviser le logement, de l’agrandir ou d’en changer l’affectation.
[6] 1965. Le locateur doit payer au locataire évincé des frais raisonnables de déménagement ainsi qu’une indemnité équivalente à un mois de loyer pour chaque année de location ininterrompue du logement par le locataire, laquelle ne peut toutefois excéder un montant représentant 24 mois de loyer ni être inférieure à un montant représentant 3 mois de loyer. Si le locataire considère que le préjudice qu’il subit justifie une indemnité plus élevée, il peut s’adresser au tribunal pour en faire fixer le montant.
À moins que le tribunal n’en décide autrement, l’indemnité est payable à l’expiration du bail et les frais de déménagement le sont, sur présentation de pièces justificatives.
[7] 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[8] 1978.1. Lorsque l’avis de cession prévu à l’article 1870 concerne un bail de logement, il doit indiquer la date de cession prévue par le locataire.
[9] 1978.2. Le locateur qui est avisé de l’intention du locataire de céder le bail peut refuser d’y consentir pour un motif autre qu’un motif sérieux visé au premier alinéa de l’article 1871. Le bail est alors résilié à la date de cession indiquée dans l’avis transmis par le locataire.
[10] 1871. Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux.
Lorsqu’il refuse, le locateur est tenu d’indiquer au locataire, dans les 15 jours de la réception de l’avis, les motifs de son refus; s’il omet de le faire, il est réputé avoir consenti.
[11] 1978.3. Le locataire qui cède son bail ne peut exiger de contrepartie.
[12] 1978.4. Le locataire qui sous-loue son logement ne peut exiger, outre le coût des services offerts et des frais raisonnables pour l’usage des biens meubles dont le locataire est propriétaire, un montant supérieur au loyer qu’il verse au locateur.