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Litige et médiation

Publié par - 6 mai 2022

Par Me Stéphane Chatigny, LL.B, D.E.A, Associé | Avocat et Me Martin Brisson,B.A. Comm, LL.B.,  Avocat

Dès 1907, la Cour suprême du Canada notait : « Un fait dont les tribunaux doivent tenir compte, c’est le poison de la calomnie que des mains perfides versent goutte à goutte dans l’esprit du vieillard »[i].

En droit civil, toute personne est présumée apte à disposer de ses biens comme bon lui semble, même à son détriment, à condition d’avoir donné un consentement libre et éclairé et, dans le cas des personnes âgées, de n’avoir fait l’objet d’aucune exploitation.

Au Québec, la disposition de biens faite par une personne âgée est encadrée par deux régimes de protection juridiques complémentaires.

La protection contre l’exploitation : des dommages-intérêts

L’article 48 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, adoptée en 1976, prévoit que :

« Toute personne âgée (…) a droit d’être protégée contre toute forme d’exploitation.

Toute personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu ».

Selon les tribunaux, « (e)n soi, l’expression « personne âgée » de l’article 48 n’a aucune connotation autre que de signifier « personne d’un âge avancé ». Être une personne âgée ne comporte pas en soi un état de dépendance, de vulnérabilité (…). Ces caractéristiques doivent se retrouver plutôt dans la notion même d’exploitation »[ii].

Il s’agit d’une protection contre toute forme d’exploitation : « financière, physique, psychologique, sociale, morale »[iii]. Il faut démontrer : a) un « déséquilibre important entre les parties – position de force versus position de vulnérabilité », de dépendance; b) des « conséquences désastreuses » sur les intérêts de la personne âgée et c) « au profit de la personne occupant une position de force »[iv].

La preuve de la mauvaise foi ou de l’intention d’exploiter n’est pas indispensable. L’âge, la condition sociale, l’isolement de sa famille, une déficience physique ou mentale, la perte d’autonomie, une dépendance affective de la personne âgée, sont des facteurs primordiaux à considérer dans leur globalité.

Il va sans dire que toute personne, même « d’un âge avancé », a le droit d’être généreuse. En 2012, la Cour d’appel précisait, dans une affaire impliquant une personne en perte d’autonomie avancée, que « (l)a personne âgée et malade a certes le droit d’être protégée contre toute les forme d’exploitation, mais elle conserve également le droit d’être généreuse envers ceux qui l’accompagnent dans cette période de fin de vie »[v].

Toutefois, en présence d’exploitation, la Commission droits de la personne peut déposer une demande en dommages-intérêts devant le Tribunal des droits de la personne, pour le compte de la personne âgée victime d’exploitation ou sa succession.

Le vice de consentement : la nullité du testament

Un testament peut être annulé en présence d’une preuve prépondérante de l’incapacité de la personne âgée à donner un consentement libre et éclairé au moment de tester. Une preuve médicale sera le plus souvent nécessaire.

Un testament peut également être annulé en présence d’une preuve de captation, i.e. d’une preuve prépondérante « qu’on s’est emparé de la volonté du testateur et que les gestes posés l’ont, de façon déterminante, amené à signer un testament qu’il n’aurait pas signé autrement. Ces gestes doivent s’apparenter à de la fraude »[vi]. En 2016, la Cour d’appel précisait que « (l)’âge, l’état de santé, la condition sociale, du testateur pourront avoir joué un rôle quant au degré de résistance qu’il pouvait opposer aux manœuvres dont il était l’objet »[vii].

Dans les cas prévus à l’article 761 du Code civil, il est question d’une « présomption absolue de captation »[viii]. L’article prescrit :

« Le legs fait au propriétaire, à l’administrateur ou au salarié d’un établissement de santé ou de services sociaux qui n’est ni le conjoint ni un proche parent du testateur, est sans effet s’il a été fait à l’époque où le testateur y était soigné ou y recevait des services.

Le legs fait au membre de la famille d’accueil à l’époque où le testateur y demeurait est également sans effet »;

En ce qui concerne l’expression « famille d’accueil », les tribunaux ont conclu qu’elle vise les résidences privées pour personnes âgées, même en dehors du réseau public de la santé et ont précisé que, temporaire ou permanent:

« (…) ce qui importe, c’est que le foyer ou la résidence prenne charge de la personne hébergée moyennant rémunération et lui fournisse un encadrement, en l’occurrence divers soins et services, de l’aide ou de l’assistance, et une surveillance. La personne hébergée doit être une personne « sous la dépendance » (totale ou partielle) des personnes chez qui elle réside et qui s’en occupent, et ce en raison de son état.  C’est ce qu’on entend par « famille d’accueil, par opposition à la personne qui est simplement « en chambre » quelque part[ix].

Subsiste cependant la question relative à la qualification des services reçus à domicile et donnés par un ou une préposée d’un établissement de santé ou de services sociaux.

À la lumière de ce qui précède, retenons que les tribunaux sont enclins à se montrer particulièrement vigilants à l’égard de la disposition de biens consentie par des personnes rendues vulnérables, notamment, mais pas seulement, en raison « d’un âge avancé ».

 

 

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[i] Mayrand c. Dussault, (1907) 38 CSC 460, citant l’auteur Laurent;

[ii] Vallée c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2005 QCCA 316;

[iii] Idem, para. 29;

[iv] Idem, para. 47;

[v] Turcotte c. Turcotte, 2012 QCCA 645, para. 47;

[vi] Larocque c. Gagnon, 2016 QCCA 1237, para. 92; Delli Quadri c. Antonacci, 2018 QCCA 1466, para. 8;

[vii]Laroche c. Gagnon, para. 97, citant l’auteur Chateauguay Perrault;

[viii]Bourque c. Lafortune (succession Masse-Lafortune), 2003 QCCA para. 39;

[ix] Idem, para. 40-41;

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