Générale
Publié par Stéphane Chatigny - 16 août 2022
Témoignage – L’expérience de Me Stéphane Chatigny à Hong-Kong
Anniversaire du témoignage de Me Stéphane Chatigny devant le Comité spécial de la Chambre des communes sur les relations sino-canadiennes toujours d’actualité 2 ans après.
Résumé: Me Chatigny nous raconte son expérience pendant sa vie à Hong-Kong, en Chine. Il y décrit ces impressions face à un régime autoritaire, composé d’une population qui souhaite des libertés et les garanties démocratiques énoncées dans la Basic Law of Hong-Kong et la Constitution de Taïwan.
‘Je remercie le Comité spécial de bien vouloir entendre mes commentaires aujourd’hui au sujet des relations sino-canadiennes et de la situation actuelle à Hong Kong.
Avocat depuis 1992, j’ai eu l’expérience unique de vivre à Hong Kong pendant 10 ans, soit de 2008 à 2017.
Dans ma pratique professionnelle, je me concentre sur l’immigration économique au Canada et, plus spécialement, sur le programme des immigrants investisseurs du gouvernement du Québec. J’ai assisté plus de 2 000 candidats à ce programme, principalement des dirigeants et des propriétaires d’entreprises privées établies en Chine continentale, à Taïwan et à Hong Kong. Ces candidats m’ont raconté comment ils étaient devenus riches, en Chine et ailleurs autour de ce pays, lequel a mis moins de 30 ans à atteindre le statut de deuxième puissance économique mondiale et rivalise maintenant avec l’Amérique du Nord et l’Union européenne dans plusieurs secteurs industriels.
Pendant toutes ces années, j’ai vécu à Hong Kong, une démocratie de 7,5 millions d’habitants, sans avoir de crainte vis-à-vis de l’État. J’ai aussi circulé à Taïwan, une autre démocratie asiatique de 23 millions d’habitants, toujours sans craindre l’État.
Les populations de Hong Kong et de Taïwan sont courageuses et déterminées. À l’instar des Canadiens, elles veulent élire librement leur gouvernement et continuer de vivre dans un environnement légal qui est transparent et prévisible, qui porte les valeurs, les libertés et les garanties démocratiques énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Basic Law of Hong Kong et la Constitution de Taïwan.
Comme l’ont souligné plusieurs témoins avant moi, les liens entre Hong Kong et le Canada sont étroits, et la crise actuelle sur ce territoire exige une attention et une action ferme et coordonnée de la part du gouvernement canadien.
Vivre à Hong Kong, c’est se trouver dans la périphérie corrosive d’un régime autoritaire dur et d’un système de gouvernement en parfaite contradiction avec les valeurs démocratiques que porte et défend chaque avocat canadien.
Quand je rentrais chez moi, à Hong Kong, après chaque séjour en Chine continentale, je respirais plus profondément, comme soulagé, habité par l’impression de m’être trouvé pendant quelques jours dans un environnement social placé sous une cloche de verre, grouillant d’individus policés, endoctrinés, neutralisés, à qui le Parti communiste chinois ne permet qu’un spectre de vie limité à une existence économique.
Depuis peu, grâce à de puissants algorithmes et à un réservoir grandissant de données, la Chine soumet les individus et les entreprises sur son territoire à une cote de crédit social qui tient notamment compte de la navigation et des commentaires sur le Web.
Or, la loi relative à la sécurité nationale de Hong Kong de juillet 2020 étend cette cloche de verre liberticide au-dessus de la démocratie de Hong Kong. Le Parti communiste chinois amorce ainsi l’application de son écosystème d’hypersurveillance et de répression bien avant juillet 2047, en violation de la Déclaration commune sino-britannique de 1984.
Cet écosystème produit l’autocensure, un réflexe de protection qui m’a semblé profondément ancré chez les habitants de la Chine continentale, d’autant plus que la délation est encouragée et même organisée.
Véritable cheval de Troie dans le système juridique de Hong Kong, la loi relative à la sécurité nationale produit déjà l’autocensure chez les Hongkongais. Des individus et des organisations ferment leurs comptes sur les réseaux sociaux de façon précipitée, retirent le carré jaune et les livres qui peuvent fâcher. La loi inocule ainsi une peur de l’État qui n’existait pas auparavant. Au bout du compte, le régime communiste confinera les Hongkongais à un spectre de vie limité à une existence économique.
Cet été, j’ai mis la main sur l’édition de janvier-février 2008 de la revue Foreign Affairs dont le titre était « Changing China ». Cela m’a fait plutôt sourire, 12 ans plus tard. Espérer changer la Chine, c’est nourrir l’espoir d’amener sa classe dirigeante à réformer sa gouvernance politique et économique et de l’amener vers le respect de la règle de droit, des droits de la personne et de l’économie de marché. L’épreuve des faits, depuis 20 ans, révèle une certaine naïveté.
L’instinct crédule et imprudent du gouvernement du Canada, des entreprises et des établissements de recherche et d’enseignement du pays est parfois consternant.
Dès mes premières années en Chine, j’ai espéré des déclarations comme celle faite en mars 2019 par le président français, M. Emmanuel Macron, qui affirmait que « le temps de la naïveté européenne est révolu » dans les relations avec la Chine.
La sympathie et l’engagement de l’Occident envers cette belle et noble civilisation, entretenus en dépit de son régime répressif et prédateur, ne se sont pas convertis en confiance, bien au contraire, et ce sont les peuples qui sont finalement privés d’une relation plus fertile.
Depuis 2014, le président Xi Jinping convie sa population à poursuivre « le rêve chinois de la grande revitalisation de la nation chinoise ». La légitimité et la sincérité de cet appel paraissent indiscutables pour ce pays longtemps surnommé « the sick man of Asia ».
Cependant, la propagande actuelle conduit à des sentiments nationalistes presque fanatiques et xénophobes, dans une société privée d’informations fiables et critiques. De plus, cette propagande trouve un terrain fertile dans une éducation nationale qui met l’accent sur les 100 ans d’humiliation de la Chine aux mains des puissances étrangères.
Dès à présent, il est nécessaire que le Canada tienne pour acquis que le régime chinois, dans sa poursuite d’un socialisme avec des caractéristiques chinoises, est profondément opposé à plusieurs valeurs occidentales.
En septembre 2013, le magazine Mingjing, basé aux États-Unis, a publié un document qui était destiné au 18e congrès du Parti communiste chinois et qui s’intitule « Communiqué sur l’état courant de la sphère idéologique — Une note du bureau général du Comité central du Parti communiste chinois ». Le document souligne la constance de la lutte idéologique et énonce des mises en garde contre les tendances, activités et positions idéologiques erronées telles que la promotion de la démocratie constitutionnelle occidentale, les valeurs universelles, la société civile, le néo-libéralisme et la conception occidentale du journalisme.
Il semble irréaliste de croire encore que la Chine changera dans le sens que nous souhaitons. Au XXIe siècle, le risque est plutôt que ce soit le régime communiste qui nous change dans un sens que nous ne voulons pas.
Dès lors, il devient éminemment important pour le Canada de s’assurer que nos relations avec ce pays, devenu prééminent dans l’ordre international, ne nous amènent pas à relativiser et à atténuer le contour et l’importance de nos normes, de nos valeurs et de nos intérêts.
Dans sa relation avec le Canada, le régime chinois applique une approche holistique où plusieurs aspects, même très éloignés, peuvent servir de points de pression, y compris des points de pression manifestement en dehors des normes internationales, tels que la détention de Kevin et Julia Garratt, en 2014, et celle de Michael Kovrig et Michael Spavor, en 2018.
Chaque silence, chaque omission d’agir ou chaque compromis sur nos valeurs, nos normes ou nos intérêts alimente le confort du régime dans la pratique de l’intimidation. Il est nécessaire que le Canada prive le régime chinois des effets souhaités, c’est-à-dire l’autocensure et le bon comportement.
Avec nos alliés, il nous faut développer et soutenir une vigilance et une action internationales, interdisciplinaires et interministérielles sans cesse mieux coordonnées à l’égard des comportements du régime chinois, notamment en matière de droits de la personne, d’interférence dans la vie politique étrangère, d’intimidation en sol étranger, d’érosion des droits civils et politiques à Hong Kong et à Taïwan, de vol de propriété intellectuelle, d’espionnage industriel, d’intelligence artificielle et de partenariats éducatifs, scientifiques et commerciaux qui font courir un risque à l’autonomie, à la sécurité ou aux intérêts économiques du Canada.
Cette vigilance permettra de mener à l’égard de la Chine une politique étrangère, commerciale et de sécurité nationale sans cesse plus fidèle aux réalités et à l’identité des 37 millions de Canadiens, incluant les 300 000 citoyens canadiens qui vivent à Hong Kong.
Assurons-nous que la Chine ne nous changera pas.
Je vous remercie.’
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